Nicolas-Auguste LAURENS

Prud’hon enfant surpris par les moines en train de copier les tableaux de l’abbaye de Cluny, 1869


En 1861, la Société des Amis des Arts de Côte-d’Or ouvre un concours ayant pour sujet, dans la catégorie tableaux de genre, la narration suivante : « Pierre-Paul Prud’hon, né le 4 avril 1758 d’un pauvre artisan de Cluny, fut recueilli et élevé dans l’abbaye de cette ville. Son génie s’éveilla à l’aspect des peintures qui décoraient les murs de la célèbre abbaye ; et souvent, les moines surprirent l’enfant, alors âgé de 16 ans, cherchant à imiter les beautés qu’il admirait. Ses dispositions furent encouragées par l’abbé de Cluny et par l’évêque de Mâcon, qui le placèrent à l’École des Beaux-Arts de Dijon, sous la direction de François Devosge son fondateur ». Cette représentation du peintre Prud’hon enfant participe d’un élan ancien, commencé par Vasari et ses Vite, vies d’artistes racontées et romancées, actualisé dans la première moitié du XIXe siècle par l’essor de la peinture troubadour. Se retourner sur l’enfance des artistes passés est un prétexte pour les artistes du XIXe siècle pour renouveler la peinture d’histoire, en allant vers une représentation historiciste plus anecdotique. Ces sujets incarnant la « petite histoire » sont très populaires et alimentent le mythe du génie artistique précoce, glorifiant par là également le statut de l’artiste dans la société contemporaine.  

En juin 1862, sont proclamés les lauréats : 1er prix tableau de genre : Amédée Bidot, (lettre M) 2e prix, Louis Gaitet (lettre R) – Mention honorable : Philippe Jolyet (lettre N), 2e Jules James Rougeron (lettre F). Les tableaux sont exposés durant un mois à l’Hôtel de Ville de Dijon. C’est la lecture de ces résultats publiés qui a incité l’attribution à Clément-Amédée Bidot de l’esquisse sur bois non signée, non datée, achetée par le musée des Beaux-Arts de Dijon en 1982 et représentant ce sujet. La composition montre un enfant assis sur un muret, surmonté de grilles, derrière lesquelles deux moines l’épient, pendant qu’il peint d’après un tableau accroché. 

Le passage en vente publique chez Tajan (Paris-Drouot) en avril 2025 de la même composition, sur toile et grand format, signée « A. Laurens 1869 » a permis de réattribuer cette petite esquisse à un autre peintre bourguignon Nicolas Auguste Laurens (Pontailler-sur-Saône, 1829 – Pontailler-sur-Saône, 1908). Il apparaît en effet plus probable que l’œuvre définitive découverte en 2025 soit bien de Laurens, et non une reprise de composition de Bidot, à seulement quelques années d’écart, comme le mentionnait la maison de vente. Certaines différences entre l’esquisse et l’œuvre définitive, comme le visage de l’enfant, le matériel de peinture par terre et sur le muret, laissent à penser qu’il s’agit justement d’évolutions et non d’une reprise de composition. 

Par ailleurs, on sait que Laurens a participé au concours organisé par la Société des Amis des Arts en 1862, au moins dans la catégorie Paysage, puisqu’il y reçoit une mention honorable avec médaille. Il est fort possible qu’il ait également participé dans la catégorie des Tableaux de genre, sans être lauréat. Les dimensions de la toile achetée en 2025 entrent en tout cas dans le règlement du concours et une inscription au dos du cadre « n Y » ou « n 7 » pourrait être le signe d’une marque d’anonymisation telle que demandé dans le concours où chaque artiste était désigné par une lettre ou un chiffre. Il était précisé que les tableaux ne devaient pas être datés, ce qui expliquerait alors une signature plus tardive, apposée peut-être au moment d’une vente ou d’une exposition.

L’étude de la marque du fournisseur de la toile « Deforge et Carpentier » confirme par ailleurs la datation antérieure à 1869, car le tampon visible est celui utilisé par l’entreprise entre 1856 et 1863.  Une étude par un conservateur-restaurateur pourrait peut-être permettre de confirmer l’apposition tardive de cette signature et date. 

Élève de Thomas Couture, puis de Louis Devedeux. Laurens expose pour la première fois au Salon parisien en 1859. Ses envois suivants (un tableau par an) présentent des allégories féminines, des scènes de genre et des paysages. Il est récompensé par une mention honorable au Salon de 1898 pour son tableau Sous la Vague, représentant des jeunes femmes se baignant. Outre une série de peintures sur le thème de la femme nue et la mer : En garde (1883), Les caresses de la vague (1891), citons également Feuilles tombantes (1901) allégories féminines de l’automne. Cette production, tout à fait représentative de la production d’un élève de Thomas Couture, est contrebalancée par une peinture de paysages dont certains sont d’inspiration toute côte-d’orienne comme Bords de la vieille Saône (1897).  

Parisien, il tient à soutenir la vie artistique locale et expose fréquemment à l’exposition de la Société des Amis des Arts de Dijon où l’on retrouve sensiblement les mêmes toiles, exposées à quelques années d’écart. 

Dans les collections du Musée des Beaux-Arts de Dijon, on compte deux toiles de Laurens : Seule exposée au Salon de 1877 (achetée à l’artiste en 1879) et L’Abandonnée exposée au Salon parisien de 1895 et à Dijon en 1897 (don d’un particulier en 1897). Deux figures de femmes nues, alanguies, peintes à près de vingt ans d’écart, montrent la permanence du sujet dans l’oeuvre de l’artiste. 

Grâce à la générosité de la Société des Amis, cette nouvelle acquisition permet d’éclairer un autre pan de la carrière de cet artiste peu connu : sa jeunesse et son ancrage bourguignon en plus de documenter la représentation du peintre Pierre-Paul Prud’hon. Le musée des Beaux-Arts de Dijon conserve en effet un fonds de près de 200 œuvres de ou d’après Pierre-Paul Prud’hon (peintures, dessins, estampes) notamment le grand plafond à la gloire des princes de Condé de la salle des statues. Il apparaît ainsi naturel de documenter la mystification de cet artiste français important dont on conserve un portrait en pleine maturité peint par Charles Fournier et un buste par Pierre Darbois.  Pierre Paul Prud’hon est une figure importante de la scène artistique bourguignonne et ce, dès le début du XIXe siècle. Les sociétés savantes le mettent en valeur, notamment par ce concours en 1862 ainsi que les instances politiques (le nom Prud’hon est gravé en façade du musée des Beaux-Arts de Dijon en 1852 ainsi que dans son escalier d’honneur).  

Naïs Lefrançois 

Bibliographie :  
– Livrets du Salon des Artistes Français 
Journal de la Côte-d’Or (1861-1862)
Compte-rendu des travaux de la Société des Artistes français, 1er janvier 1907
 – Guide Labreuche en ligne
 – Pascal Labreuche, «Les fournisseurs parisiens de toiles et châssis des années 1800 à 1880 : une étude à partir de peintures conservées au musée Condé», Bulletin du musée Condé, Chantilly, 2004

  • Price
    Nicolas-Auguste LAURENS
  • Frequency
    Musée des Beaux-Arts de Dijon
  • Release Date
    juillet 9, 2025